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Pissenlit et Macadam
création de la Cie de théâtre amateur Fay’Art des Monts d’Ardèche 2012

Que c’est beau une usine la nuit



Des années durant, j’ai exercé mon métier dans des lieux que la majorité des gens considèrent comme très éloignés de la beauté et de l’émotion. Pourtant ces endroits m’ont inspiré souvent des sentiments où la poésie et le romantisme n’étaient pas absents ; une question de regard sans doute, une approche esthétisante d’un monde ou le fonctionnel prime sur le beau, peut être.
Il faisait froid cette nuit là, le travail, pénible, long, venait de se terminer. Suite de tâches obscures mais pourtant si indispensables, petites pierres ajoutées au formidable édifice…

J’étais seul ou presque. Un peu plus loin d’autres hommes s’affairaient encore autour de la gigantesque machine.
Je me sentais bien, complètement à ma place, la fatigue effacée par un sentiment de plénitude, insensible au froid et à l’obscurité. L’Usine autour de moi, paraissait assoupie, délaissée par ses servants .Et pourtant de ses entrailles on pouvait percevoir ce grondement régulier comme une respiration, grondante et sifflante, si familière que je pouvais en déceler l’origine : le compresseur de la torchère laisserait tranquille les gars du poste de nuit.
L’éclairage, si puissant à l’habitude, semblait cette nuit comme une veilleuse douce et rassurante, disparaissant parfois dans la brume de novembre et laissant entrevoir les formes colossales de la machine. Je la voyais à cet instant comme un marin voit la côte illuminée et lointaine dans la nuit, tellement rassurante et proche.
Cette masse métallique vivait. Je la sentais palpiter, haleter vibrer de toutes ces structures comme une énorme bête dressée par les hommes pour produire le fluide vital, pour cracher de son ventre ses puanteurs toxiques ; j’oubliai à cet instant la somme de soins constants et attentifs que ce complexe organisme exigeait, les dangers à s’approcher trop près de la bête toujours prête à mordre ou à brûler.

Les fluides circulaient dans son complexe réseau de canalisations, les colonnes de distillation dont la cime disparaissait dans le brouillard, hautes et fines comme autant de phares dans la nuit, balisaient cet entrelacs de tuyaux, de cuves, de pompes, de câbles électriques si désordonné d’apparence mais dont la position de chaque élément était due au génie de l’homme, à l’application rigoureuse de lois physiques, mystérieuses pour moi mais dont je mesurais ici l’importance.
De ces froids calculs, de cet ordonnancement mathématique, je pouvais m’affranchir, et ne percevoir que le côté profondément humain de cet assemblage ; peut-être savais-je aussi ce que cela représentait d’efforts, de compétences, de solidarité pour les hommes de ce monde auquel j’appartenais. Des hommes au service d’autres hommes, sentiment diffus de remplir un rôle, d’être un rouage nécessaire… Impressions souvent masquées par les contingences du quotidien et dont la perte de la perception explique parfois les rancœurs de toute une partie de ce corps social que représente ce monde ouvrier là.
Cette nuit encore, comme toutes les nuits, des hommes vont surveiller les cadrans, ouvrir et fermer des vannes, ausculter les hoquets du monstre, et lui permettre de s’animer.

Et la machine puissante et obstinée, doucement comme un mirage, fini par s’estomper dans la brume.

Texte de Bernard

 

Mon Païs


C’est l’envie de la douceur du repli sur soi et l’espoir de l’autre
Une richesse certaine mais aussi une certaine pauvreté
Ce sont l’isolement et la solitude qui rendent les rencontres plus profondes
C’est simple et complexe
Aisé et exigeant
C’est le ciel, tantôt comme un étau qui m’enserre dans un brouillard dont les fibres serrées forment un linceul oppressant
Tantôt comme une promesse qui m’ouvre des horizons d’une infinie beauté
C’est aussi la nuit noire ou étoilée dont les milliards de scintillements semblent à la fois venir à moi et me happer
C’est la lune, la lune qui par une nuit froide de décembre alors que je cheminais dans la neige crissant était là tout près, à quelques pas, à portée de main, d’une rotondité parfaite et la blancheur lumineuse de la pureté
C’est l’explosion du silence qui soudain m’enveloppe suspendant mon pas, retenant mon souffle, me donnant une conscience pleine du brouhaha de mon corps

Mais c’est aussi parfois l’envie de partir, de tout quitter pour plus d’impersonnel, plus d’anonymat
C’est l’incompréhension, la communication impossible
La griserie de certains pouvoirs
C’est l’usure, la lassitude devant l’apathie, un mur qui transforme petit à petit nos déceptions en sentiment d’échec

C’est dire bonjour, offrir un sourire et que l’on vous réponde
C’est la musique du vent et le chant des oiseaux comme compagnie
Un froufrou au-dessus de ma tête : l’arbre agite ses jupons

C’est aimer profondément, viscéralement « lou païs » et se dire parfois qu’il est impossible d’y vivre pleinement…

Texte de Marie-Paule

 

 

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